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Compensation carbone des vols aériens : Une fausse vraie solution ?


En 2024, les compagnies aériennes devront compenser 100% des émissions de CO2 de leurs vols intérieurs. Cette loi, d’apparence louable, n'est pas exempte de tout reproche. Elle fait débat car : d’une part elle est considérée comme insuffisante aux yeux de certains, d’autre part car la compensation carbone n’a pas toujours bonne presse. Il est pourtant nécessaire de comprendre que le problème ne réside pas dans la compensation carbone en soi, mais dans l’utilisation que l’on en fait. Décryptons le vrai du faux, en prenant l’exemple d’Air France.



Une loi et un article qui font débat :


Le projet de loi Climat qui avait réuni 150 citoyens tirés au sort, a été validé en février 2021, non sans protestation. Ce projet avait pour but d’apporter des propositions afin de lutter contre le dérèglement climatique et d’atteindre les objectifs définis par la France : une réduction de 40 % de ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 par rapport à 1990. Les contestations se sont multipliées ces derniers mois, notamment sur le fait que les propositions auraient été vidées de leur essence principale, les rendant « insuffisantes » aux yeux de certains scientifiques, diverses organisations ou citoyens.


Ce sont pourtant 69 articles qui ont été ratifiés, défendus avec vigueur par Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique et solidaire. Ils concernent 5 thèmes principaux : se déplacer, se loger, se nourrir, consommer, produire et travailler.


Parmi les propositions du thème « se déplacer », une en particulier s’est retrouvée sur le devant de la scène médiatique : elle concerne l’article 38. Il stipule, dans les grandes lignes, que les exploitants d’aéronefs devront intégralement compenser les émissions de gaz à effets de serre de leurs vols intérieurs en 2024. Ce processus se fera de manière progressive :

  • À compter du 1er janvier 2022, les exploitants compensent 50 % de leurs émissions ;

  • À compter du 1er janvier 2023, les exploitants compensent 70 % de leurs émissions ;

  • À compter du 1er janvier 2024, les exploitants compensent 100 % de leurs émissions.

A cela s’ajoutent 3 autres articles. Ils ont pour rôle de créer une éco-contribution aérienne, de bannir les vols courts (si le trajet peut être assuré par un déplacement ferroviaire de 2h30 ou moins) mais aussi d’interdire l’extension d’aérodromes (dans certaines conditions).

Malgré certaines avancées indéniables, une guerre de tranchées s’opère entre les acteurs de l’aérien et les ONG et autres associations à propos de cet article, qui visiblement, convient à peu de parties.


Mais alors, quel est le problème de l’article 38?


Selon beaucoup, le problème est la compensation carbone. Vraiment?

Tout d’abord, la compensation carbone c’est le dispositif qui permet aux entreprises de financer des projets capables d’éviter ou de stocker du carbone à hauteur des émissions qu’elles souhaitent compenser (en général leurs émissions résiduelles : celles qui n’ont pas pu être évitées ou réduites). En d’autres termes, une entreprise qui émet par exemple 1000 tonnes eqCO2, pourra financer un projet durable (tel que du reboisement) qui, de son côté, stockera la même quantité de CO2. L’entreprise aura alors « compensé » ses émissions. Obligatoire pour certaines sociétés particulièrement polluantes, elle repose encore sur le volontariat pour le reste des acteurs français.


Or, ce dispositif pourtant prometteur fait débat. En effet, il peut être très facile d’exploiter la compensation carbone à des fins de greenwashing, si elle n’est pas utilisée à bon escient :


- l’entreprise peut décider d’augmenter ses propres émissions et de compenser l’intégralité de celles-ci, sans chercher à les diminuer ou à les réduire en amont. C’est une manière pour elle, selon divers contestataires, de se déresponsabiliser de son empreinte carbone.


- elle peut aussi décider de compenser ses émissions à l’autre bout du monde, ce qui a peu d’impact sur la condition environnementale du territoire français. La raison du fait de compenser à l’étranger ? Un prix à la tonne carbone moins élevé qu’en France. Financer des projets français est certes vertueux, mais plus coûteux.


- la société peut financer des projets pas toujours durables ni labellisés, où la quantité des tonnages, l’impact positif sur l’environnement et la biodiversité peuvent être surévalués. Dans certains cas, la certification des tonnes eqCO2 ne provient pas d’un label rigoureux et reconnu. Pareillement, les projets financés n’ont pas toujours vocation à perdurer dans les années à venir. Il se peut que le projet ne soit pas en adéquation avec le milieu dans lequel il est réalisé ; en résulte un échec cuisant pour le financeur comme pour le porteur de projet.

La compensation carbone peut donc être utilisée à de mauvaises fins, ce qui n’en fait tout de même pas un dispositif inutile ou à jeter, loin de là ! Il s’agit avant tout de prendre en compte ces mesures en essayant de rendre viable leur compensation.



Air France dans la tourmente :


Prenons le cas d’Air France, compagnie aérienne loin d’être le pire élève en termes d’écoresponsabilité, mais à qui il reste du chemin à parcourir. La Loi Climat aura un impact quasiment inexistant sur son activité de compensation. En effet, l’entreprise est déjà fière d’annoncer qu’elle compense 100% de ses émissions de carbone pour les vols domestiques. Elle se vante d’ailleurs de pouvoir proposer des « vols neutres en CO2 », ce qui n’a pas manqué de faire réagir un bon nombre d’écologistes et scientifiques, dénonçant une utilisation abusive du terme.



Mais voilà, bien qu’Air France ait entrepris une démarche louable en apparence, ses actions sont jugées problématiques, au mieux insuffisantes. Tout d’abord, elle considère compenser l’intégralité de ses émissions mais n’intègre pas toutes les données au calcul, telles que les quantités de carbone émises par les aéroports, ainsi qu’une partie des émissions indirectes liées à l’activité de l’entreprise.

Ensuite, il est reproché à Air France de peu prendre en compte son évitement et sa réduction d’émissions en amont de la compensation, qu’elle remette peu en question son mode de fonctionnement général pour se reposer sur ses lauriers.


Enfin, le point le plus sensible : les 8 projets dits de « compensation » financés par le géant de l’aéronautique sont en majorité à l’étranger. Seuls deux projets sont français. De quoi remettre en question cette notion de « vol neutre en CO2 » domestiques.

Il faut tout de même noter que l’entreprise a cherché à s’investir volontairement dans ces projets. Ils ont tâché de les faire certifier par des organismes internationaux reconnus (VCS, Gold Standard…). D’autres compagnies n’avaient, à ce jour, rien entrepris de tel. Ces projets ont pour le moment bel et bien un impact positif sur leur milieu. Notre question est : pouvons-nous faire mieux ?


Quelles solutions pour une meilleure compensation carbone?


Il existe une compensation carbone bien plus exigeante. Si elle est utilisée à bon escient, elle peut être viable pour l’organisation qui souhaite compenser. En 2019, le ministère de la Transition écologique et solidaire, en lien avec l’I4CE, a fondé le Label Bas Carbone. C’est un label spécialement créé pour des projets français, ayant pour but d’être financés par des organisations souhaitant compenser leurs propres émissions à l’année. Ces projets suivent un audit particulièrement rigoureux avant d’être labellisés. Ils subissent des rabais à chaque étage lors de la quantification des tonnes eqCO2 qu’ils sont en mesure de stocker ou d’éviter.

De plus, ces projets sont additionnels. C’est-à-dire que l’on va seulement évaluer l’impact du projet par rapport à une situation où rien n’aurait été réalisé, qu’on appelle le scénario de référence. Surtout, les projets éligibles au Label Bas Carbone ne doivent pas être rentables pour le porteur de projet, montrant qu’ils n’auraient pu en aucun cas exister sans le financement de l’entreprise ou de l’organisation. Voilà un label qui pourrait être utilisé par les compagnies aériennes.

La différenciation ultime : Fini la compensation à l’étranger ! Le LBC labellise des projets français. Ils ont certes des prix plus élevés qu’à l’étranger, mais les entreprises (qui doivent compenser les émissions de leurs vols domestiques, rappelons-le) ont les clefs en main pour financer des projets proches de leurs sites de production, de leur chaîne de valeur. Ils peuvent enfin soutenir l’emploi local, améliorer les conditions socio-économiques de leur région, soutenir la biodiversité, tout en compensant leurs émissions. “Le prix s’oublie, la qualité reste” (Michel Audiard). Les compagnies aériennes ont moyen, grâce au Label Carbone, d’éviter de travailler en surface pour enfin s’intégrer aux missions locales.


La compensation au cœur des enjeux durables :


Il va de soi que la compensation n’est qu’un complément et qu’elle n’a aucune valeur si l’entreprise n’est pas dans une réelle démarche durable d’évitement et de réduction de ses émissions de CO2 en amont. Cependant, grâce au Label Bas Carbone, la compensation devient un réel outil, mesurable, viable et prometteur. Il faut donc être vigilant et vérifier que les compagnies aériennes respectent leurs engagements, financent des projets ayant une réelle valeur ajoutée et s’intègrent dans une stratégie bas carbone sur le long terme.


La question n’est donc plus vraiment de savoir si les compagnies aériennes devront compenser ou non, mais plutôt : comment et où peuvent-elles compenser, tout en intégrant la compensation à leur démarche d’évitement et de réduction d’émission? Une partie de la réponse se trouve probablement dans la vigilance du gouvernement et des citoyens à se montrer exigeants. Le Label Bas Carbone est, dans tous les cas, un début prometteur pour rendre la compensation carbone durable et efficiente.


Aujourd’hui, cette obligation concerne seulement les exploitants aéronautiques, mais il y a fort à parier qu’elle se développe et s’immisce dans la vie entrepreneuriale française. Il sera intéressant d’analyser son impact sur les entreprises, entre les proactives et celles qui n’auront pas anticipé son arrivée. Il n’empêche que cette obligation aurait pu davantage inciter les entreprises à réaliser une compensation plus saine : à travers des mécanismes plus stricts, une certification sérieuse et l’obligation de compenser localement, proche de la chaîne de valeur de l’entreprise.









Sources :


- Assemblée Nationale (10/02/2021) - Projet de loi nº 3875

- Dr Valérie Masson-Delmotte (27/07/2020) - Tweet pour protester contre les actions d'Air France

- Frédéric Fortin / MCM Presse pour Localtis - (15/02/2021) - Mobilités : ce que contient le projet loi Climat et Résilience


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