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La compensation carbone face aux idées reçues

Dernière mise à jour : 26 mai 2021

La compensation carbone reste un procédé encore méconnu du grand public et souvent peu compris depuis sa mise en place. On peut le voir depuis peu, de plus en plus de financeurs publics ou privés s'engagent dans cette démarche de compensation. Il n'empêche que de nombreuses idées reçues persistent. Faisons un tour d'horizon sur certaines d'entre elles afin de réellement comprendre le processus de compensation carbone.



La compensation carbone, qu’est-ce que c’est?


C'est un mécanisme qui permet de faire le lien entre des entreprises qui souhaitent compenser leurs émissions de gaz à effet de serre et des porteurs de projets qui, à l'inverse, vont stocker ou éviter des rejets atmosphériques de gaz à effet de serre. Pour un porteur de projet, c'est un dispositif de financement. Pour un financeur, c'est un outil qui peut servir un objectif de neutralité.



On parle souvent de neutralité carbone versus neutralité carbone nette. Y a-t-il une différence dans la définition?


C'est un débat qui fait couler beaucoup d'encre. Il faut noter que la neutralité carbone est avant tout un objectif que l’on se fixe ou non. La compensation carbone n'est elle qu'un outil mis à disposition pour atteindre l'objectif de neutralité. Etre totalement neutre en carbone est illusoire. On ne peut pas réduire ses émissions jusqu'à 0, puisque l'on émettra toujours un socle résiduel incompressible de gaz à effet de serre. Scientifiquement, il n'est pas possible de les supprimer intégralement, si ce n’est ne plus rien faire. C’est donc pour cela qu'on parle de neutralité nette, en incluant dans ce calcul une part de compensation.

Il faut aussi rappeler que la neutralité carbone nette, c’est c'est un engagement pris par l'État à l'horizon 2050. C’est un objectif qui s'apprécie à l'échelle globale, nationale, internationale. Cela a peu de sens de parler de neutralité nette à l'échelle d'une entreprise. D'autant plus que pour atteindre cette neutralité carbone nette, il faut compenser. Compenser, c'est compenser à l'extérieur de l'entreprise.



Quelle différence faire entre contribution et compensation?


C’est un gros débat. Le terme compenser a été assimilé à la neutralité carbone, qui est impossible, comme expliqué précédemment. Le grand public a fait un raccourci hâtif entre compensation et neutralité. C'est pour cela qu'aujourd'hui, de nombreux acteurs essayent de rétropédaler là-dessus afin de rétablir le vrai. Par le passé, certains acteurs ont utilisé des dispositifs de compensation carbone à des fins purement marketing, ce qui a été qualifié de greenwashing. C'est ce qui a causé beaucoup de tort à ce dispositif. La neutralité carbone est devenue synonyme de se déresponsabiliser de sa propre empreinte carbone. C'est pour cela qu'aujourd'hui, certains acteurs préfèrent parler de contribution carbone pour bien marquer la différence et désolidariser leurs actions d’un quelconque objectif de neutralité pure et simple, objectif qui pourrait faire office de mauvaise presse.

Cependant, ces termes n'ont pas vraiment de différence. Ils se recoupent. La compensation carbone c'est le nom donné à cet outil réglementaire. La contribution, quant à elle, est un terme plus générique qui permet de recouvrir différents types d'actions (mécénat, stockage carbone, sauvegarde de biodiversité ou d'autres projets humanitaires). Pour faire simple, dans notre contexte, la contribution carbone correspond à contribuer à un puits de carbone. L’outil le plus robuste et transparent pour y parvenir est d'utiliser les certifications de projets qui sont issus des dispositifs de compensation carbone. Par exemple, une entreprise qui n'a pas réalisé son bilan carbone et qui ne connaît pas son empreinte carbone non plus, devra parler de contribution plus que de compensation. Ceci pour éviter que son action de contribution soit mal perçue à l'extérieur.



Justement, qu'en est-il du bilan carbone? Est-il obligatoire?


Le bilan carbone est un outil qui se démocratise de plus en plus. Il repose à la base sur les grandes entreprises et les collectivités territoriales, grandes entreprises de plus de 500 salariés ou dépassant un certain seuil de chiffre d'affaires. Ces acteurs ont une obligation de réaliser le bilan carbone et de produire un rapport extra-financier qui doit être public. Dans ce rapport extra-financier, on comptabilise les émissions de carbone à l'année. Ces acteurs ont donc fait cet exercice et connaissent leur empreinte carbone. Pour les autres entreprises, réaliser ce rapport extra-financier repose sur le volontariat. Mais ce bilan carbone se démocratise. Par exemple, toutes les entreprises de plus de 50 salariés qui ont bénéficié du plan de relance auront pour devoir de produire et de publier leur bilan carbone dans les prochaines années. Les réglementations en la matière sont en train d'évoluer. Il y a fort à parier que les acteurs aient bientôt des engagements d'évitement et de réduction en plus de cette comptabilité carbone initiale. Aujourd'hui, ils sont obligés de compter mais pas forcément d'agir. C'est ce qui est reproché à cette situation : le fait qu'il n'y a pas d'obligation en matière de plans d’évitement et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.



Une entreprise peut-elle compenser l'intégralité de ses émissions sans chercher à les réduire en amont? En d'autres termes, est-ce possible de simplement compenser et d’émettre plus chaque année?


C'est malheureusement possible, mais avec tous les risques de greenwashing que cela implique pour cette entreprise. Il est dorénavant plus facile de vérifier les réelles actions extra-financières d'une entreprise. Qu'on parle de contribution ou de compensation, le combat est le même. Il faut avant tout éviter et réduire ses émissions à la source. Ensuite vient la compensation. C’est un préalable indispensable. Carbonapp, opérateur de compensation carbone ne travaille qu'avec des entreprises ou des collectivités territoriales qui sont dans une démarche d'évitement et de réduction, qui ont déjà réalisé leur bilan carbone et qui sont dans une vraie démarche environnementale. Elles doivent être inscrites dans un exercice de projection de ce bilan carbone à travers une trajectoire carbone, parfois jusqu’à 10-15 ans, voire jusqu'à 2050.

Cela permet d'apprécier toutes les émissions résiduelles incompressibles qu’il va rester. C'est seulement là-dessus que l'entreprise va mettre en place des actions de compensation. Un exemple simple : si dans une entreprise des collaborateurs voyagent régulièrement en avion à des fins professionnelles, la première étape sera de ne plus se déplacer et de réaliser un maximum de rendez-vous par visioconférence. C'est l'évitement. Ensuite, pour ceux qui doivent absolument faire ce déplacement, l'on bascule sur des modes de transport moins émetteurs (train, covoiturage...). C’est la réduction. Enfin, les émissions restantes n'ayant pas pu être évitées ou réduites sont considérées comme des émissions résiduelles incompressibles. Ce sont seulement celles-ci qui seront compensées par l'entreprise, lorsqu'elle financera un projet qui réduira ou stockera cette même quantité de carbone.



Comment peut-on être sûr de la viabilité des projets financés et des tonnages équivalents CO2 revendiqués?


Pour cela, il faut utiliser des certifications internationales et nationales reconnues. En France, le Label Bas Carbone impose des méthodes de calcul scientifique très rigoureuses en privilégiant la mesure directe. Il propose une approche robuste avec des rabais à tous les étages pour éviter de trop comptabiliser. L'objectif est d'être un maximum pessimiste en termes de quantification des Teq CO2. Par exemple, pour le esecteur forestier, on comptabilise les stockages de carbone dans la biomasse pendant 30 ans, alors que l’on sait qu’un boisement va séquestrer du carbone bien après 50 ans, voire 100 ans pour certains feuillus. On est donc dans une approche scientifique, réelle et mesurée.



Ces projets auraient-ils pu voir le jour sans la contribution des financeurs?


Ces projets labellisés ne sont pas simplement mesurables et vérifiables. Ils sont surtout additionnels. L’"additionnalité" est un critère essentiel de certification et d’obtention de ce label bas carbone.

Qu’est-ce que cela veut dire? Que l’on parle de certifier des tonnages équivalents en comparaison avec une situation de référence. L'objectif étant d'entrer dans une logique de surperformance carbone d'un projet par rapport à cette situation de référence. On ne certifie donc jamais la totalité du carbone stocké ou évité par le projet : on certifie la différence entre ce projet et cette situation de référence. Cela permet d'éviter de nombreux effets d'aubaine. En effet, cela rend non éligible certaines opérations, notamment dans le cas où elles auraient pu être subventionnées par différentes aides disponibles. De même, un projet considéré comme rentable et qui n'a pas besoin d'un financement additionnel ne sera pas labellisé par le Label Bas Carbone. On vient donc sortir des projets qui étaient dans l'impasse et permettre la réalisation de projets qui n'auraient pas pu voir le jour sans un financement.




Est-ce que les experts réalisant l'audit du projet à financer sont indépendants?


L’audit final (audit de reconnaissance des réductions d’émissions) a lieu une fois que l'on a réalisé le projet. En effet, cet audit doit être effectué par un professionnel complètement indépendant à la fois du porteur de projets mais aussi du financeur et, de surcroît, de l'opérateur de compensation carbone.



Si l'on compense ses émissions sur une annéec en finançant un projet forestier sur 30 ans, doit-on attendre ces 30 années pour considérer que l'on a compensé?


En réalité, avec le Label Bas Carbone, on comptabilise des tonnages pendant toute la durée de vie du projet. Il peut être effectivement de 30 ans dans le secteur forestier. Lorsqu'on calcule un tonnage équivalent CO2, on le cumule sur cette durée de vie. C'est pour cela qu'il est nécessaire de communiquer de façon très claire et transparente lorsqu'on finance ce projet. En effet, on ne peut pas considérer que l'on a compensé à date, mais seulement financé un projet qui permettra de compenser les émissions de l'année N pendant les 30 prochaines années. Il faut donc être attentif et aller au-delà de cette idée : "d'abord j'évite, après je réduis, puis je décide de compenser". La démarche de compensation doit intervenir quasiment en même temps que l’évitement et la réduction, car les projets de compensation nécessitent souvent quelques années pour être finalisés.



Les projets forestiers sont-ils les seuls projets éligibles à la labellisation et au financement?


Actuellement, la majorité des méthodes officielles de calcul concerne le secteur forestier. Ce secteur est historiquement le plus représenté dans la compensation carbone. Il en existe cependant d’autres : on parle beaucoup de l'élevage, mais aussi de l'agriculture qui sont des gisements de réduction d’émissions titanesques.

D'autres secteurs rejoignent petit à petit cette démarche : l'industrie, la gestion des déchets, la méthanisation, le secteur du bâtiment, de la construction et de la réhabilitation. Ils ont tous déjà amorcé un gros virage carbone ces dernières années. L'avantage de diversifier les types de projets est que les nouvelles méthodes vont permettre aux entreprises de compenser dans leur propre chaîne de valeur. Auparavant, l'inconvénient était qu’une entreprise ne pouvait compenser ses émissions que dans le secteur forestier. Si on prend l'exemple d'une foncière immobilière, il est logique qu'elle préfère compenser dans sa chaîne de valeur. En d'autres termes, elle choisit de financer des projets de réhabilitation ou de construction bas-carbone plutôt que d’investir dans du boisement forestier. C'est là tout le potentiel de ces nouvelles méthodes. Elles sont de plus en plus nombreuses et permettent au label Bas Carbone de prendre de la puissance. Chaque acteur peut ainsi compenser dans sa chaîne de valeur et de façon locale, puisque ce Label Bas Carbone est franco-français.



Quel est l'avantage de compenser dans sa propre chaîne de valeur?


Si l'on revient sur cette méthodologie de bilan carbone, on comprend que compenser dans sa chaîne de valeur correspond à mettre cet argent au profit de sa propre empreinte carbone. Cela aura un impact déterminant dans le scope 3 de son bilan carbone. Notre empreinte carbone est toujours interconnectée avec toute cette chaîne de valeur.

Un exemple : une entreprise spécialisée dans la production laitière aura tout intérêt à compenser ses émissions auprès des exploitants bovins laitiers qui lui fournissent du lait. Elle financera leur transition de bonnes pratiques de façon à, in fine, pouvoir acheter du lait décarboné. L'objectif est de jouer sur ce scope 3 de leur propre bilan carbone.

Les retours sont d'autant plus intéressants pour l'entreprise qui compense, mais permettent aussi d'impulser une démarche climat territoriale importante, qui prend de plus en plus d'ampleur avec les collectivités territoriales.



Est-ce vraiment moins douloureux de compenser plutôt que de changer de comportement?


Il n'y a pas une solution plus douloureuse que l'autre. L’on fait face à un impératif de réduction considérable qui doit s'accompagner du développement de projets de compensation carbone pour arriver à la neutralité nette à 2050. C’est un outil nécessaire et indispensable. La compensation carbone a pu être utilisée à mauvais escient notamment à l’international. Néanmoins, aujourd’hui avec le Label Bas Carbone, on ne finance plus n'importe quel projet. On peut participer au lancement de projets locaux, additionnels, qui n'auraient pas pu voir le jour sans ce financement. De plus, les nouvelles méthodes Label Bas Carbone vont permettre de compenser dans sa propre chaîne de valeur. Ce n’est donc pas déresponsabilisant puisqu'en compensant dans sa chaîne de valeur, on flèche des financements dans notre propre scope 3. On travaille donc sur notre propre empreinte carbone et on pérennise l'ensemble des acteurs qui nous font vivre. C'est un outil d'allocation des fonds tout à fait vertueux.

On comprend donc que la compensation carbone, utilisée à bon escient et dans les bonnes dispositions est une étape indispensable est nécessaire pour l'exemplarité climatique. Sans celle-ci, il va manquer un maillon à la chaîne de la transition écologique.


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